Cahier de notes (II)

LDO X 2014
Photo Líria Dora Orlowska © Re/cogito

(Im Wald)

I.

Espace de la forêt. Il nous atteint. Moins son étendue que son architecture à la fois simple et complexe. Sa densité, sa porosité. Lumière et ombres qui glissent sur son irrégulière surface. L’homme, lorsqu’il s’y trouve, combien il est étranger et en même temps, combien il fait partie d’elle. S’estompant dans son aura, dans un pénombre de moult membres. A condition de rester un petit corps mortel caché dans les bruyères ou les fougères : il est reçu.
Le parfum de la forêt : de bois vif et mort, de feuilles vibrantes et desséchées, des animaux qui s’y tapissent, des résineux. Le son, celui du vent qui attaque les cimes et qui s’immisce par des portes entrouvertes entre les verticales ; chant d’oiseaux et voix d’animaux ; silence qui craque comme une allumette, bruissement des pousses qui percent un gland afin de voir la lumière de l’existence. Tissu de la forêt : le creux du sol couvert de mousse, son moelleux ; interstices d’air dans le branchage d’un conifère face au (visage) plein d’un feuillu, fentes et fenêtres de ses rameaux.
Ombres profondes comme celles d’une caverne et lumière qui forme des tâches de rousseur rieuses, qui dansent sur la peau des hêtres, chênes ou bouleaux. Clairières baignées de lumière – un lac d’ambre s’écoulant en cascade des aiguilles, et rayons de soleil qui fractionnent la chevelure du bois. Un sentiment d’étrangeté alors que tu es dissimulé au cœur d’un paysage connu. Naissent soudain calme et inquiétude, apaisement et mystère. Le regard vers le haut se fait solennel, et celui vers le bas, attendri. Marcher, s’arrêter. S’approcher et découvrir. Dans l’impossibilité pourtant de dévoiler ce qui reste caché. Chercher et trouver ce qui se laisse aborder.
Un pays autonome, un règne naturel, une île oubliée retrouvée. L’état de grâce qui revient à ceux qui l’approchent. Lieu sans passé ni futur, immuable cloître de prière. Le (temps) présent qui réconcilie l’homme et la nature. Abri secret, non prolixe, ouvert. Patient et mélodieux. Notre maison première, lieu de naissance des songes, incarnation de l’esprit. Cachette de tous les sens. Le renouveau.

 

II.

Parcourir la forêt avant l’orage, la pluie, sous les nuages lourds de regrets, de tristesse et de plaintes. Tourmentés et incertains dans leur couleur. Avancer avec toutes ces odeurs de feuilles, de bois divers, de plantes et d’herbes d’été qui effleurent, enveloppent, collent à la peau. Mûrissant avec eux (s’enfonçant dedans), tu t’étires lentement dans un rayon de soleil qui libère le sourire, ralentit les pensées et fait grandir le regard.
Partout, le vert. Tous ces verts.. !Pas vraiment comestibles, mais nourrissant l’âme en quête, ainsi que le cœur endolori. Cœur vivant toutefois, et vif, sensible à chaque expression de la forme et attentif au son, à la musique du vent dans l’épais feuillage. L’être entier qui s’arrête à la vue d’un papillon chargé de délicatesse et de couleur. Chemin parmi d’énormes et nobles troncs portant des couronnes, habillés par une dentelle de lierre. L’inclination de la tête qui s’impose devant ces êtres majestueux. Eternels ?
Un humide sentier, boue brune et feuilles d’un vert mûri, profond ; des pas silencieux qui conduisent, qui emportent vers le fond, de plus en plus loin du chemin connu.
Des gouttes de pluie humectent la joue ; elles ont réussi à se glisser, à passer par une dense coupole d’hêtres et des platanes. Température de tons vert sombre et vert clair ; leur parfum, murmure et bruissement, craquement et envol. Terre du mystère dans l’enchevêtrement des branches et des racines, des corps feuillus et des clairières bleu ciel. Eau. En silence, elle sinue, attend là, s’étend ; réfléchit la lumière, accueille le ciel. Elle est le miroir, le pendant du visible. Elle prête son œil pour refléter la robe et la coiffe des arbres, le chaos des branches et leur disposition. Cette parfaite structure d’un monde.


juillet/août 2014

Líria Dora ORLOWSKA

 

Líria Dora Orlowska (ou Liliana Orlowska) est née à Varsovie en 1973. Elle vient à Paris en 1995 pour étudier le français, puis entreprend à Strasbourg des études d’archéologie et d’histoire de l’art, de grec moderne aussi pour laisser place à l’imprévu. Elle est diplômée de l’Institut de Traducteurs, d’Interprètes et de Relations Internationales de Strasbourg. Elle publie des traductions des textes d’Edward Stachura dans la revue « La Barque » et ses propres textes, en polonais, dans la revue numérique « Recogito ». Elle pratique aussi la photographie et le dessin.

[X 2014]