Petite leçon de savoir-mourir

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Photo Líria Dora Orlowska © Re/cogito

Que faire lorsqu’à court d’idées on n’arrive plus à s’en sortir avec moins de cinq cents euros mensuels? Pourquoi ne pas essayer d’adapter son ego à la pauvreté ? Un jour ou l’autre, il faudra bien trouver un moyen de sauvegarder sa dignité tout en mourant à petit feu, et ce, dans la joie et la bonne humeur…

 

La règle d’or du savoir-mourir commence en société: il est de bon ton de ne pas plonger deux fois ses grosses mains dans l’assiette de saucisson rance au cours de la même conversation, on n’est pas tout seul. Un saucisson rance s’acquiert chèrement car le chemin est long de la générosité des nantis jusqu’aux locaux des restos du coeur. Il est tout autant mal vu de laisser son abdomen gargouiller à sa guise, c’est très déprimant ! Par ailleurs, ressasser sans arrêt ses petits problèmes quotidiens risque de lasser les autres invités déjà assez tracassés par leurs ulcères et autres décalcifications, donc, de la tenue…

Idem en ce qui concerne les sorties du weekend : dans les parcs d’attraction Auchan ou Leclerc, se munir d’un panier ou d’un caddie peut être interprété comme une provocation par vos semblables. Mieux vaut s’en tenir à une petite flânerie main dans la main, joue contre joue, estomac dans les talons. Rien n’empêche d’effleurer ici où là la surface lisse d’un Châblis ou celle plus rugueuse d’un Camembert moulé à la louche et d’en évoquer le précieux souvenir. Il faut bien se mettre du baume au coeur avec les bonnes choses inaccessibles, de plus, c’est une des façons les plus nobles de survivre au-dessus de ses moyens ; la sagesse hexagonale est légendaire, surtout lorsqu’il s’agit de bien voter.

Il est important également de se rééduquer en cas de scorbut ; la langue française est réputée comme étant la plus gaie et la plus chantante, alors, si l’on s’adresse à un prospecteur-placier de pôle-emploi en termes édentés, on risque fort de se faire prendre en grippe. Il est donc primordial de retourner sept fois la langue sur ses chicots avant de s’exprimer :

“ Je voudrais m’inscrire à un stage de reconversion rémunéré sur deux ans ! “ On vous renverra à votre misère illico presto, mais là au moins avec un éclat de rire…

Pierre ZEIDLER

Pierre Zeidler, né en 1956 à Strasbourg, est musicien (clarinette, saxophone), comédien et auteur (poésie, prose et théâtre).

[VI 2014]